Michele Damasceno, Divina Liturgia, Θεία Λειτουργία, XVI sec., Museo delle Icone e delle Sacre Reliquie dell'Arcidiocesi di Creta, Candia |
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sábado, 20 de abril de 2013
LE TRÉSOR DE LA MESSE par saint Léonard de Port-Maurice
par saint Léonard de Port-Maurice
Introduction
Ce petit livre me fut offert, jadis, par un pieux chrétien,
tout animé du zèle de l’apostolat, qui s’en est fait le propagateur. À mon tour,
je voudrais le répandre, afin que beaucoup d’âmes en recueillent le profit
spirituel et que, dans le monde, l’étiage de la vertu, de la charité, de la vie
surnaturelle en soit exhaussé, car c’est un véritable trésor. Car, si la sainte
Messe était quotidiennement entendue par tous les fidèles à qui cet effort n’est
pas impossible, et si tous les fidèles, qui assistent au Sacrifice divin, s’y
unissaient avec plus de foi, plus d’intelligence et plus de ferveur, il y aurait
dans le monde, une surabondance de grâces qui suffiraient à rétablir la concorde
et la sérénité.
Et ceci, je ne le dis point de mon autorité personnelle; en
l’affirmant, je me borne à répéter les paroles d’un grand saint, lui-même
interprète exact et approuvé de la plus pure doctrine et de tout l’enseignement
de la sainte Église.
De ce petit livre, en effet, ce qui constitue la très haute et
très précieuse valeur, c’est qu’il fut composé, voici bien longtemps, par Saint
Léonard de Port-Maurice, apôtre de la sainte Messe. En le lisant, vous
n’entendez donc point la voix plus ou moins sûre et plus ou moins autorisée d’un
bon chrétien, rempli seulement d’excellentes intentions: vous recueillez, des
lèvres d’un saint, la moelle de sa science théologique et le suc de ses
méditations au pied du Tabernacle.
Écoutez-le donc et gardez avec soin tout ce qu’il vous dira. Ce
qu’il vous dira, c’est le prix infini de la sainte Messe, renouvellement
multiple et quotidien du Sacrifice du Calvaire, offert à l’autel comme au
Golgotha, par Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même, et que chacun de nous peut
offrir avec Jésus-Christ. Ce qu’il vous dira, ce sont les infinis bienfaits
qu’une seule Messe, étant elle-même un trésor infini, peut répandre sur les âmes
et sur toute la terre. Ce qu’il vous dira, c’est dans quelles dispositions
intimes, c’est à quelles intentions personnelles ou générales, vous devez
assister, je veux dire prendre part, au divin Sacrifice. Ce qu’il vous dira,
c’est quelles grâces incommensurables vous laissez perdre étourdiment, lorsque,
pouvant entendre la Messe, vous négligez cette faveur insigne.
Et je devine, ici, que beaucoup de mes lecteurs vont me
répondre que, toutes ces vérités, ils les connaissent depuis longtemps. À cette
objection, je pourrais répliquer, simplement, que tout homme a besoin de
réapprendre et d’approfondir les vérités qu’il connaît; car, parmi les choses
que l’on sait, combien d’essentielles à quoi l’on ne pense plus! Mais, j’irai
plus outre et j’oserai leur dire:
Non! Ces vérités, vous ne les connaissez pas!… Croyez-moi! J’en
ai fait l’expérience personnelle. Moi aussi, je me flattais de savoir, autant
que je le puis, ce qu’est la sainte Messe; or, en lisant le petit traité de
Saint Léonard de Port-Maurice, j’ai constaté mon ignorance. Il y a, dans ces
pages, une si intense et si douce lumière, que l’on découvre, à sa clarté, des
beautés nouvelles et jusqu’alors inaperçues, comme un visage, illuminé soudain
d’un puissant rayon, révèle à l’observateur des détails ignorés. Et puis
surtout, les méditations du saint apôtre sont animées d’une telle ardeur
d’amour, d’une force et d’une chaleur de persuasion si conquérantes et
pénétrantes, que, l’intelligence en fut-elle insuffisamment convaincue, le cœur
en serait totalement saisi.
L’auteur a terminé son écrit par quelques résolutions
pratiques. Et certes, en précisant les conclusions du livre, et en orientant la
conduite des lecteurs, elles offrent une évidente et précieuse utilité; mais je
crois pouvoir dire qu’elles sont presque superflue tellement les résolutions
proposées par saint Léonard jaillissent déjà de toutes les pages et s’imposent à
notre volonté!…
François Veuillot.
Le trésor caché
Si rare et si précieux qu’il soit en réalité, un trésor ne
saurait être estimé qu’autant qu’il est connu. Voilà sans doute, cher lecteur,
pourquoi le très Saint Sacrifice de la Messe n’est point apprécié d’un grand
nombre de chrétiens dans la mesure de sa réelle valeur: il est la plus belle
richesse, la plus divine gloire de l’Église de Dieu; mais c’est un trésor caché
que trop peu connaissent. Ah! si tous savaient quelle est cette perle du
paradis, il n’est pas sur la terre un homme qui ne donnât volontiers en échange
tout ce qu'il possède ici bas.
Savez-vous donc ce qu’est, en réalité, que la sainte Messe?
Elle n’est rien de moins que le soleil du christianisme, l’âme de la foi, le
cœur de la religion de Jésus-Christ; tous les rites, toutes les cérémonies, tous
les sacrements s’y rapportent. Elle est, en un mot, l’abrégé de tout ce qu’il y
a de beau et de bon dans l’Église de Dieu.
Ce Sacrifice est vraiment le plus vénérable et le plus parfait;
et, afin qu’un pareil trésor obtienne de vous l’estime qu’il mérite, nous
examinerons ici rapidement, en peu de mots, quelques-uns de ses titres. Je dis
quelques-uns: les embrasser tous serait chose impossible à l’intelligence
humaine.
1 - Le sacrifice de la Messe est le même que Celui du Calvaire.
Le premier et principal caractère d’excellence de la sainte
Messe, c’est que nous devons la considérer comme étant essentiellement et
absolument le même Sacrifice que celui qui fut offert au Calvaire. Une seule
différence se présente: sur la croix il fut sanglant et il n’eut lieu qu’une
seule fois, et cette seule fois il eut assez de vertu pour expier pleinement
toutes les iniquités de l’univers: sur l’autel, il n’y a point de sang répandu;
de plus, le Sacrifice se renouvelle à l’infini, et son objet direct est
d’appliquer à chacun en particulier, la rédemption générale acquise par Jésus
dans sa douloureuse immolation.
Le Sacrifice sanglant a été le principe de notre rançon, le
Sacrifice non sanglant nous met en possession de cette rançon; le premier nous
ouvre le trésor des mérites de Notre-Seigneur, l’autre nous en assure l’usage.
Remarquons-le attentivement, du reste: la sainte Messe n’est
point une simple représentation, un simple mémorial de la passion et de la mort
du Sauveur: c’est une reproduction réelle et certaine de ce qui s’est accompli
sur la croix: en sorte qu’on peut dire, en toute vérité, que dans chaque Messe
notre Rédempteur subit de nouveau pour nous la mort, d’une manière mystique,
sans mourir en réalité. Il vit tout à la fois et il est immolé. "J’ai vu, dit
saint Jean, l’Agneau qui était comme égorgé."
Le jour de Noël, par exemple, l’Église nous représente comme
actuelle la naissance de Jésus; à l’Ascension et à la Pentecôte, elle nous le
montre triomphant, quittant la terre, ou bien envoyant aux Apôtres le
Saint-Esprit; sans que pour cela il soit vrai qu’à pareil jour le Seigneur monte
au ciel et que l’Esprit-Saint descende visiblement sur les fidèles.
Or, il ne serait pas permis de raisonner ainsi quand au
Sacrifice de la Messe: là, ce n’est point une simple représentation, c’est
exactement le même Sacrifice que celui du Calvaire; seulement il n’est plus
sanglant. Ce même corps, ce même sang, ce même Jésus qui s’offrit sur la croix,
sont offerts sur l’autel.
"C’est, dit l’Église, c’est l’œuvre même de notre rédemption
qui s’accomplit de nouveau." Oui, elle s’accomplit très certainement, oui, c’est
le même Sacrifice, absolument le même, que le Sacrifice du Calvaire.
Ô merveille inexprimable! Avouez-le sincèrement: si, lorsque
vous allez à l’église entendre la Messe, vous réfléchissiez que vous montez au
Calvaire pour assister à la mort de Notre-Seigneur, vous verrait-on si peu
recueilli, si dissipé, si mondain? Qu’eût-on pensé de Marie-Madeleine si on
l’avait rencontrée au pied de la croix couverte de ses plus beaux vêtements,
parfumée, parée comme au temps où elle s’abandonnait à ses passions? Que faut-il
dire de vous, quand vous vous rendez au saint lieu comme vous iriez à une
réunion vulgaire?
Et que serait-ce, grand Dieu! si vous vous oubliiez jusqu’à
profaner cette action, de toutes la plus sainte, par des regards et des signes
inconvenants, par des rires, des conversations, des rencontres coupables, des
sacrilèges?
Le péché est chose horrible en tout lieu et en tout temps; mais
celui qui se commet pendant le temps de la Messe, à côté même des saints autels,
attire plus que tout autre la malédiction de Dieu.
"Maudit, s’écrie le prophète Jérémie, maudit l’homme qui fraude
dans l’œuvre divine." — Pensez-y sérieusement. — Mais il est dans ce Trésor
admirable d’autres merveilles encore et d’autres excellences.
2. - Le prêtre principal, à la sainte Messe, est Jésus-Christ lui-même.
Dans le nombre des prérogatives sublimes de cet adorable
Sacrifice, aucune semble-t-il, n’est plus admirable que d’être non pas seulement
la copie mais l’original même du Sacrifice de la croix: et pourtant il en est
une supérieure encore à celle-là, qui est d’avoir pour ministre et pour prêtre
un Dieu-Homme.
Dans une action aussi sainte que celle du Saint Sacrifice, il y
a trois choses à considérer spécialement: le prêtre qui offre, la victime qui
est offerte, la majesté de celui à qui on l’offre. Eh bien! ici nous trouvons, à
ce triple égard, l’Homme-Dieu, Jésus-Christ, pour prêtre; la vie d’un Dieu pour
victime; Dieu lui-même pour fin.
Excitez donc votre foi, et reconnaissez dans le prêtre qui est
à l’autel la personne adorable de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui est le prêtre
principal, non seulement parce que c’est lui qui a institué cet auguste
Sacrifice, et lui a donné par ses mérites toute son efficacité, mais encore
parce qu’à chaque Messe, il daigne changer pour nous le pain et le vin en son
Corps adorable et son Sang précieux.
Voici le plus grand privilège de la sainte Messe; c’est d’avoir
pour prêtre l’Homme-Dieu!
Sachez donc, quand vous voyez le célébrant à l’autel, que son
principal mérite est d’être le ministre de ce prêtre éternel et invisible
Notre-Seigneur Jésus-Christ.
C’est pour cela que le saint Sacrifice de la Messe ne cesse pas
d’être agréable à Dieu, lors même que le prêtre qui l’offre est sacrilège; parce
que le prêtre principal est Notre-Seigneur Jésus-Christ, et que celui que vous
voyez n’est que son ministre.
Si quelqu’un fait l’aumône par la main de son serviteur, c’est
à lui qu’on l’attribue, et lors même que ce dernier serait un scélérat, si le
maître est juste, son aumône est sainte et méritoire.
Béni soit donc le Seigneur de nous avoir accordé ce Prêtre
saint, la sainteté même, chargé d’offrir au Père éternel l’auguste Sacrifice non
seulement en tous lieux puisque la foi est désormais répandue dans l’univers
entier, mais en tout temps, chaque jour, à toute heure même, car le soleil ne
disparaît à notre horizon que pour se lever sur d’autres contrées.
C’est pourquoi, à chaque heure, sur chaque point du globe, ce
Prêtre très saint présente à Dieu son Sang, son Âme, sa Personne entière: il les
présente pour nous, et cela autant de fois qu’il se célèbre de Messes dans le
monde.
Ô trésor immense! Ô source d’inappréciables richesses! Ah! que
ne pouvons-nous assister à toutes les Messes qui se disent! quels mérites nous
gagnerions! que de grâces en cette vie et quelle gloire dans l’autre nous
pourrions acquérir!
3. - Dignité à laquelle est élevé le fidèle qui assiste à la Messe.
Mais que parlé-je d’assister? Entendre la sainte Messe, ce
n’est pas seulement cela, c’est l’offrir soi-même. Oui, le simple fidèle peut et
doit être appelé sacrificateur, ainsi que nous le lisons au chapitre V de
l’Apocalypse: "Vous avez fait de nous, Seigneur, votre royaume et vos prêtres."
Le célébrant à l’autel, c’est le ministre de l’Église agissant
au nom de la communauté; il est le médiateur de tous les fidèles, spécialement
de ceux qui sont présents, auprès de Jésus-Christ le prêtre invisible, uni à
lui, il offre à Dieu le Père, tant au nom de tous qu’en son nom particulier, le
prix divin de la rédemption des hommes.
Mais comprenons-le bien, il n’agit pas seul dans une si auguste
fonction: chacun de ceux qui assistent à son sacrifice concourt avec lui à
l’accomplir et à l’offrir, et c’est pourquoi, lorsque après l’offertoire, il se
tourne vers le peuple, il dit: Priez, mes frères, pour que mon sacrifice qui et
aussi le vôtre soit agréable au Dieu tout-puissant; afin que nous entendions par
là que, bien qu’il fasse les fonctions de principal ministre, tous ceux qui sont
présents offrent avec lui le saint Sacrifice.
Ainsi toutes les fois que vous assistez à la Messe, vous faites
en un certain sens l’office du prêtre. Oserez-vous maintenant entendre la Messe
en causant, en regardant de côté et d’autre, peut-être même en dormant, vous
contentant de réciter tant bien que mal quelques prières vocales, sans faire
aucune attention aux fonctions redoutables de prêtre que vous exercez ?
Ah! je ne puis m’empêcher de m’écrier ici: Monde insensé, qui
ne comprend rien à ces sublimes mystères! Comment est-il possible que l’on se
tienne auprès de l’autel, l’esprit distrait et le cœur dissipé, pendant que les
anges contemplent dans une sainte ferveur l’accomplissement d’une œuvre
merveilleuse.
Vous êtes peut-être étonné de m’entendre dire que la Messe est
une œuvre pleine de merveilles. N’est-ce pas, en effet, une merveille digne de
toutes nos admirations, que le changement opéré par les paroles d’un simple
mortel?
Qui, non seulement parmi le hommes, mais encore parmi les
anges, pourra expliquer une telle puissance? Qui pourrait s’imaginer que la voix
d’un homme, lequel n’a pas même la force de soulever de terre une paille sans y
mettre la main, ait reçu de Dieu le pouvoir merveilleux de faire descendre du
ciel sur la terre le Fils de Dieu lui-même.
C’est là un pouvoir plus grand que celui de transporter les
montagnes, de dessécher la mer et de bouleverser les cieux. Les paroles que
prononce le prêtre à la consécration sont aussi puissantes, en un certain sens,
que ce premier Fiat avec lequel Dieu tira du néant toutes choses; il semble même
qu’elles surpassent cet autre Fiat, avec lequel la sainte Vierge conçut dans son
sein le Verbe éternel.
Car elle ne fit alors que fournir la matière du corps de
Jésus-Christ, qui fut formé, il est vrai de son sang, mais non par elle; tandis
que le prêtre, instrument, ministre du Seigneur dans l’acte de la consécration,
il produit lui-même Jésus-Christ d’une manière ineffable, sacramentellement,
autant de fois qu’il offre le Saint Sacrifice.
Le bienheureux Jean de Mantoue, dit le Bon, avait pour
compagnon un ermite, qui ne pouvait comprendre comment les paroles d’un simple
prêtre avaient le pouvoir de changer la substance du pain et du vin, en celle du
Corps et du Sang de Jésus-Christ; il avait même prêté quelque consentement au
doute que le démon lui avait suggéré sur ce point.
Le bon serviteur de Dieu s’étant aperçu de son erreur, le
conduisit à une fontaine, et y ayant puisé une coupe d’eau, il la lui donna à
boire. L’autre l’ayant bue, confessa qu’il n’avait jamais goûté de vin aussi
délicieux.
"Eh bien, mon frère, lui dit alors Jean, vois-tu le miracle? Si
Dieu a permis que l’eau ait été changée en vin par moi, homme misérable,
pourquoi ne croirais-tu pas que, par le moyen des paroles du prêtre, qui sont
après tout les paroles de Dieu, la substance du pain et du
vin est changée en la substance du Corps et du Sang de
Jésus-Christ?
Qui oserait assigner des limites à la toute-puissance de Dieu?"
C’en fut assez pour éclairer l’ermite, qui, chassant de son esprit tous les
doutes, fit une pénitence sévère de son péché. Il ne faut qu’un peu de foi, pour
reconnaître que les prérogatives contenues dans cet adorable Sacrifice sont
innombrables.
Et d’abord, c’est déjà un grand prodige qu’à toute heure, en
mille lieux différents, l’humanité sainte de Jésus se multiplie, jouissant pour
ainsi dire d’une sorte d’immensité, que ne possède aucun autre corps, et qu’il a
méritée en s’immolant à son Père.
C’est ce que déclarait le démon, parlant par la bouche d’une
possédée, à un Juif incrédule. Celui-ci se trouvait sur une place où étaient en
même temps beaucoup de personnes, et entre autres une femme possédée.
Un prêtre passa en ce moment, portant le saint viatique à un
malade, au milieu d’une grande foule de peuple. Tous s’agenouillèrent pour
adorer le Saint Sacrement à son passage: le Juif seul se tint debout, sans
donner aucun signe de respect.
La femme, à cette vue se leva furieuse, arracha le chapeau du
Juif et lui donna un grand soufflet, en disant: "Malheureux, pourquoi
n’honores-tu pas le vrai Dieu, qui se trouve en ce divin sacrement?
— Le vrai Dieu? répondit le Juif; si cela était vrai, il y
aurait donc plusieurs Dieux, puisqu’il y en a un sur chacun de vos autels,
lorsqu’on y dit la Messe?"
À ce raisonnement, la possédée saisit un tamis, et, le plaçant
devant le soleil, elle dit au Juif de regarder les rayons qui pénétraient par
les ouvertures. Puis elle ajouta: "Y a-t-il plusieurs soleils qui passent par
les trous de ce crible, ou n’y en a-t-il qu’un seul?
Il n’y en a qu’un seul?
— Pourquoi t’étonnes-tu donc que Dieu, quoiqu’il soit invisible
et inaltérable, soit par un excès d’amour, réellement présent sur plusieurs
autels à la fois?"
Il n’en fallut pas davantage pour confondre le Juif, et le
forcer à confesser la vérité.
Oh! si nous avions un peu de foi, nous nous écrierions aussi,
dans la ferveur de notre âme: "Non, il n’est point de bornes à la divine
puissance." Sainte Thérèse avait de cette puissance une si haute idée, que
souvent elle répétait: "Plus les mystères de notre sainte religion sont élevés,
profonds, inaccessibles à l’intelligence humaine, plus il convient de les
admettre avec fermeté et amour: car nous savons que Dieu, dont le pouvoir est
infini, pourrait réaliser des prodiges plus grands encore."
Ravivez donc votre croyance, je vous en conjure, et confessez
que cet auguste Sacrifice est le miracle des miracles, la merveille des
merveilles, et que sa prérogative la plus étonnante consiste précisément à
dominer notre pauvre et court esprit.
Redites, dans votre admiration: "Oh! le rare, l’inappréciable
trésor!" — Si de telles considérations vous laissaient indifférent, voyez encore
à quel point la sainte Messe vous est nécessaire.
Nécessité de la sainte Messe pour apaiser la justice de Dieu.
Si le soleil n’éclairait pas le monde qu’arriverait-il? Il n’y
aurait plus que ténèbres, horreur, stérilité et misère. Et, sans le saint
Sacrifice de la Messe, que serions-nous? Nous serions privés de tout bien, en
butte à tous les maux et à tous les traits de la colère de Dieu. On s’étonne que
Dieu ait en quelque sorte changé sa manière de gouverner les hommes.
Autrefois il prenait le titre de Dieu des armées, il parlait
aux peuples au milieu des nuages et la foudre à la main, et il châtiait avec une
justice rigoureuse toutes les fautes.
Pour un seul adultère, il fit passer au fil de l’épée
vingt-cinq mille personnes de la tribu de Benjamin, pour le péché d’orgueil que
commit David en faisant le dénombrement de son peuple, il enleva en peu de temps
par la peste soixante mille personnes.
Pour un regard curieux et irrespectueux jeté sur l’arche par
les Bethsamites, il en fit massacrer plus de cinquante mille.
Et maintenant, il supporte avec patience, non seulement les
vanités et les légèretés, mais les adultères les plus criminels, les plus grands
scandales et les blasphèmes les plus horribles que vomissent à chaque instant
tant de chrétiens contre son saint Nom.
D'où vient cette différence dans la manière de gouverner les
hommes? Nos ingratitudes sont-elles plus excusables qu’autrefois?
Qui osera le dire? Les bienfaits immenses que nous avons reçus
nous rendent, au contraire, sans comparaison plus coupables… Le secret, la
raison d’une si touchante clémence, c’est à l’autel qu’il réside; c’est dans le
Sacrifice de Jésus immolé pour nous à la sainte Messe,
devenu notre victime d’expiation, qu’il faut le chercher. Oui,
voilà le soleil de l’Église catholique, qui dissipe les nuages et rend au ciel
sa sérénité; voilà l’arc-en-ciel qui apaise les tempêtes de l’éternelle Justice.
Pour moi, je n’en doute guère, sans la sainte Messe le monde
serait à cette heure au fond de l’abîme, entraîné par le poids épouvantable de
tant d’iniquités. La Messe, voilà le victorieux levier qui le soutient. Voyez
donc, après cela, à quel point le divin Sacrifice nous est indispensable.
Ce serait peu de le comprendre si on ne savait pas, lorsqu’il
en est besoin, chercher en lui ce qu’il nous offre. Lorsque nous assistons à la
sainte Messe, imitons ce que fit un jour le grand Alphonse d’Albuquerque,
conquérant des Indes.
L’historien Osorio raconte que cet illustre capitaine, se
trouvant avec une partie de son armée sur un navire que les fureurs de la mer
allaient faire sombrer, prit dans ses bras un petit enfant qui était là, et,
l’élevant vers le ciel: "Si nous autres sommes des pécheurs, ô mon Dieu,
s’écria-t-il, cette innocente créature ne vous a jamais offensé: au nom de son
innocence, épargnez les coupables!" Chose merveilleuse! le regard du Seigneur
s’arrête avec complaisance sur l’enfant, l’Océan s’apaise, le danger disparaît
et l’équipage change en cris de joie et d’action de grâces ses mortelles
angoisses.
Que fera donc pour nous Dieu le Père, alors que le prêtre,
élevant vers lui l’Hostie sacrée, lui présente avec elle son Fils, la parfaite
Innocence? Sa miséricorde pourra-t-elle nous refuser quelque chose?
pourra-t-elle résister à cette supplication, ne point calmer les flots qui nous
assaillent, ne point subvenir à toutes nos nécessités?
Ah! sans cette admirable et divine Victime, sacrifiée pour nous
sur la croix d’abord, et ensuite journellement sur nos autels, tout était fini,
tout était perdu, et chacun de nous pouvait dire à son frère expirant: "Au
revoir en enfer! l’enfer nous réunira!" Mais maintenant, enrichis de ce trésor
protecteur, le fruit de la sainte Messe entre les mains, nous surabondons
d’espérance; le Paradis est à nous, et une seule chose nous en écarterait, notre
perversité calculée.
Baisons-les donc avec amour, ces saints autels; brûlons autour
d’eux l’encens et les parfums; mais surtout environnons-les de vénération et de
respect, puisqu’ils nous procurent tant et de si précieux biens.
Avantages de la sainte Messe.
Elle nous permet de satisfaire à toutes nos obligations envers
la Justice divine. L’honnête et le sublime sont deux motifs très puissants sur
nos cœurs: mais de tous les motifs qui peuvent agir sur nous, l’utile est le
plus efficace, et il triomphe presque toujours de nos répugnances.
Si vous appréciez peu l’excellence et la nécessité de la Messe,
comment ne seriez-vous pas frappé de la très grande utilité qu’elle procure aux
vivants et aux défunts, aux justes et aux pécheurs, pendant la vie et à l’heure
de la mort, et même après celle-ci?
Représentez-vous que vous êtes ce débiteur de l’Évangile,
lequel ayant à payer dix mille talents, et étant appelé à rendre compte de son
administration, s’humilie, implore son créancier, et lui demande du temps pour
remplir ses engagements:
"Ayez patience et je vous rendrai tout ce que je vous dois."
Vous devez faire la même chose, vous qui avez contracté tant de
dettes envers la justice divine: humiliez-vous, demandez seulement le temps
d’entendre une Messe, et c’en est assez pour payer toutes vos dettes.
NOS QUATRE OBLIGATIONS
ENVERS DIEU.
|
Saint Thomas nous dit que nous avons quatre obligations
principales envers Dieu, dont chacune est infinie.
La première est de louer et d’honorer son infinie majesté,
infiniment digne d’honneur et de louanges;
La seconde est de satisfaire pour tant de péchés que nous avons
commis;
La troisième, de le remercier pour tant de bienfaits que nous
avons reçus de lui;
La quatrième enfin, de lui demander les grâces qui nous sont
nécessaires.
Or, comment nous, misérables créatures, qui avons besoin qu’il
nous donne jusqu’au souffle que nous respirons, pourrons-nous satisfaire à
toutes ces obligations?
Voici un moyen très facile, qui doit nous consoler tous:
entendons souvent la sainte Messe, avec toute la dévotion dont nous sommes
capables, faisons dire souvent des Messes à notre intention, et nos dettes,
fussent-elles sans nombre, nous pourrons les payer toutes parfaitement, avec le
trésor que nous tirons du saint Sacrifice.
Pour que vous compreniez mieux les obligations que nous avons
envers Dieu, nous allons les expliquer l’une après l’autre, et vous serez
grandement consolés, en voyant l’immense profit et les trésors innombrables que
vous pouvez recueillir de cette source infinie et féconde.
1° GLORIFIER DIEU.
Notre première obligation envers Dieu est de l’honorer.
La loi naturelle nous dit elle-même que tout inférieur doit
honorer son supérieur, et que plus celui-ci est grand, plus l’hommage qu’on lui
rend doit être profond.
Il résulte de là que, Dieu possédant une grandeur infinie, nous
lui devons un honneur infini.
Mais où trouver une offrande digne de lui. Jetez les yeux sur
toutes les créatures de l’univers, où trouverez-vous quelque chose qui soit
digne de Dieu?
Il n’y a qu’un Dieu qui puisse être une offrande digne de Dieu.
Il faut donc qu’il descende de son trône comme victime sur nos autels, pour que
l’hommage corresponde parfaitement à sa Majesté infinie.
Or, c’est là ce qui se fait au saint Sacrifice; Dieu y est
honoré autant qu’il le mérite, parce qu’il est honoré par un Dieu lui-même.
Notre-Seigneur se plaçant dans l’état de victime sur l’autel,
adore, par un acte ineffable de soumission, la sainte Trinité, autant qu’elle
mérite de l’être; de sorte que tous les autres hommages paraissent, en présence
de cette humiliation de Jésus, comme les étoiles devant le soleil.
Le père saint Jure parle d’une sainte âme, qui, éprise d’amour
pour Dieu, soulageait son cœur par mille tendres désirs.
"Mon Dieu, lui disait-elle, je voudrais avoir autant de cœurs
et de langues qu’il y a de feuilles dans les arbres, d’atomes dans l’air et de
gouttes d’eau dans l’Océan, pour vous aimer et vous honorer autant que vous le
méritez.
"Oh! si j’avais toutes les créatures en mon pouvoir, je
voudrais les mettre à vos pieds, afin qu’elles fondent d’amour pour vous; mais
je voudrais vous aimer plus qu’elles toutes ensemble, plus que tous les anges,
plus que tous les saints, plus que tout le ciel."
Un jour qu’elle formait ce désir avec plus de ferveur que de
coutume, Notre-Seigneur lui répondit: "Console-toi, ma fille, car avec une seule
Messe que tu entendras dévotement, tu me rendras toute la gloire que tu désires
et infiniment plus encore."
Cette proposition vous étonne? Mais c’est à tort; car notre bon
Jésus étant non seulement homme, mais vraiment Dieu, et tout-puissant, quand il
s’humilie sur l’autel, il rend à son Père, par cet acte d’humiliation, un
hommage et un honneur infinis; et nous, en offrant avec lui ce grand Sacrifice,
nous rendons aussi par Lui à Dieu un hommage et un honneur infinis.
Oh! le grand prodige; répétons-le, car il est essentiel qu’on
s’en pénètre. Oui, oui, chrétiens, par l’assistance à la sainte Messe, le fidèle
rend à Dieu une gloire infinie, un honneur sans bornes.
Secouez votre torpeur, méditez tout émus cette vérité si
consolante et si douce: entendre avec dévotion la Messe, c’est procurer à votre
Dieu plus d’honneur que ne lui en peuvent apporter dans le ciel tous les anges,
tous les saints, tous les bienheureux. Ils ne sont, eux aussi, que de simples
créatures, et leurs hommages sont par conséquent finis et bornés; tandis qu’au
saint Sacrifice de la Messe, c’est Jésus-Christ qui s’humilie; Lui dont
l’humiliation et le mérite ont une valeur infinie: c’est pour cela que l’hommage
et l’honneur que nous rendons à Dieu par Lui, à la Messe, sont infinis.
S’il en est ainsi, vous voyez combien nous payons largement à
Dieu cette première dette, en assistant au saint Sacrifice.
Ô monde aveugle, quand ouvriras-tu les yeux pour comprendre des
vérités si importantes? Et vous, pourrez-vous dire encore: une Messe de plus ou
de moins, qu’importe?
2° SATISFAIRE POUR NOS PÉCHÉS.
Notre seconde obligation envers Dieu est de satisfaire à sa
justice, pour tant de péchés que nous avons commis.
Dette effroyable! Un seul péché mortel est d’un tel poids dans
la balance de Dieu, que pour le mettre en équilibre ce ne serait pas assez des
mérites de tous les martyrs et de tous les saints qui sont, qui ont été et qui
seront.
Mais nous possédons la sainte Messe, dont le prix intrinsèque
est assez grand pour compenser, et au delà, tous les péchés du monde.
Faites-y bien attention, afin de comprendre la reconnaissance
extrême que vous devez à Notre-Seigneur.
C’est lui-même qui est l’offensé: et malgré cela, non content
d’avoir payé pour vous dans les tortures du Calvaire, il vous a remis et il
entretient parmi vous, à votre usage, cette autre source de satisfaction
continuelle qui est: le saint Sacrifice.
Là il renouvelle l’immolation que sur la croix il fit de sa
Divine
Personne, en rachat de nos fautes; ce même sang adorable qu’il
répandit alors en faveur du genre humain coupable, il veut bien l’offrir encore,
l’appliquer spécialement, par la Messe, aux péchés de celui qui la célèbre, de
ceux qui la font célébrer et de quiconque y assiste.
Ce n’est pas que le Sacrifice de la Messe efface immédiatement
et par lui-même nos péchés comme fait le sacrement de pénitence; mais il nous
obtient de bonnes inspirations, de bons mouvements intérieurs et des grâces
actuelles pour nous repentir, comme il faut, de nos péchés, soit pendant la
Messe, soit dans un autre temps opportun.
Dieu seul sait combien d’âmes doivent leur conversion aux
secours extraordinaires qui leur viennent de ce divin Sacrifice.
Il ne sert point, il est vrai, comme sacrifice de propitiation
à ceux qui sont en état de péché mortel, mais il leur sert comme sacrifice
d’impétration; et tous les pécheurs devraient assister souvent à la Messe, afin
d’obtenir plus facilement la grâce de se convertir.
Quand aux âmes qui sont en état de grâce, le saint Sacrifice
leur donne une force merveilleuse pour s’y maintenir; et, selon l’opinion la
plus commune, il efface immédiatement tous les péchés véniels, pourvu qu’on s’en
repente au moins en général, comme le dit clairement saint Augustin:
"Si quelqu’un, dit-il, entend dévotement la Messe, il ne
tombera point dans le péché mortel, et les péchés véniels lui seront remis."
Et cela ne doit pas vous étonner: saint Grégoire raconte au
livre IV de ses Dialogues, ch. 27, qu’une pauvre femme faisait dire tous les
lundis une Messe pour l’âme de son mari, qui avait été fait esclave par les
barbares, et qu’elle croyait mort.
Or, chaque Messe lui faisait tomber les chaînes des pieds et
les menottes des mains, de sorte que, pendant tout le temps qu’elle durait, il
restait libre comme il l’avoua à sa femme dès qu’il eut recouvré sa liberté.
Combien plus devons-nous croire que cet auguste Sacrifice sera
très efficace, pour briser les liens spirituels des péchés véniels, lesquels
tiennent l’âme captive, et ne la lassent point agir avec cette liberté et cette
ferveur qu’elle aurait sans eux!
Oh! qu’il est précieux, cet adorable Sacrifice, qui nous rend
la liberté des enfants de Dieu, et satisfait pour toutes les peines que nous lui
devons à cause de nos péchés!
Il suffira donc, me direz-vous, d’entendre ou de faire dire une
seule Messe, pour payer à Dieu toutes les dettes que nous avons contractées
envers lui, à cause de nos péchés; car la Messe ayant une valeur infinie, elle
donne à Dieu une satisfaction infinie.
La Messe a, en effet, une valeur infinie: mais vous devez
savoir que Dieu l’accepte d’une manière limitée et proportionnée aux
dispositions de celui qui la dit ou la fait dire ou de ceux qui y assistent.
"Leur foi, Seigneur, vous est connue, leur dévotion est devant
vos yeux", dit l’Église dans les prières du Canon.
Et, par là, elle fait entendre ce qu’enseignent expressément
les Maîtres de la théologie, à savoir que la satisfaction plus ou moins grande
pour les peines dues à nos péchés est déterminée, dans l’application des mérites
du Sacrifice, par les dispositions et la ferveur du ministre et des assistants,
ainsi que je viens de l’expliquer.
Et ici, considérez la folie de ceux qui courent après les
Messes les plus expéditives, les moins édifiantes, ou bien, ce qui est pis, qui
s’y tiennent sans recueillement ou avec une dévotion presque nulle, ou bien
encore qui s’inquiètent peu, lorsqu’ils les font célébrer pour eux, de
s’adresser à un prêtre pieux et fervent.
Sans doute, en tant que sacrement, toutes les Messes ont la
même valeur: cependant, observe saint Thomas, elles ne sont plus égales s’il
s’agit des fruits qu’on en retire.
Plus la piété actuelle ou habituelle du célébrant sera grande,
plus le fruit de son application sera grand aussi.
Il faut dire la même chose de ceux qui assistent à la Messe; et
quoique je vous exhorte de tout mon pouvoir à y assister souvent, je vous
avertis néanmoins d’avoir moins d’égard au nombre de Messes qu’à la dévotion que
vous y apporterez; car si vous avez plus de piété dans une seule Messe qu’un
autre en cinquante, cette seule Messe donnera plus d’honneur à Dieu, et à vous
plus de profit, même de celui qu’elle produit ex opere operato , que n’en
retirera l’autre avec ses cinquante Messes.
"Dans la satisfaction, nous dit saint Thomas, on considère
plutôt les dispositions de celui qui offre que la quantité de l’oblation."
Il est certain, comme l’affirme un grave auteur, qu’une seule
Messe entendue avec une dévotion singulière, suffit pour satisfaire à la justice
divine, pour tous les péchés que nous avons commis, quelque grands et nombreux
qu’ils soient.
Et cette vérité est exprimée en termes formels par le saint
Concile de Trente.
"Le Seigneur, apaisé par cette oblation et accordant sa grâce
avec le don de la pénitence, remet les péchés, les crimes les plus graves."
Cependant, comme vous ne connaissez ni les dispositions
intérieures avec lesquelles vous assistez à la Messe, ni le degré de
satisfaction qui leur correspond, vous devez prendre vos sûretés le plus que
vous pouvez, en y assistant souvent, avec toute la dévotion possible.
Heureux, si vous y apportez une grande confiance dans la
miséricorde de Dieu, qui opère des choses merveilleuses en ce divin Sacrifice;
et si vous y assistez souvent avec recueillement et dévotion, vous pouvez alors
nourrir en votre cœur l’espoir d’aller au ciel sans passer par le Purgatoire.
Allez donc souvent à la Messe, et qu’on n’entende plus sortir de votre bouche
cette proposition scandaleuse: une Messe de plus ou de moins, qu’importe?
3° REMERCIER DIEU.
Notre troisième dette envers Dieu est celle de la
reconnaissance, pour les immenses bienfaits dont il nous a comblés. Réunissez
toutes les faveurs, toutes les libéralités, toutes les grâces que vous avez
reçues de lui: bienfaits selon la nature et selon la grâce, bienfaits du corps
et bienfaits de l’âme, vos sens, vos facultés, votre santé, votre vie; et puis
la vie même de Jésus son divin Fils et la mort qu’il a souffert pour nous:
toutes ces choses augmentent outre mesure notre dette envers Dieu.
Comment pourrons-nous donc le remercier dignement? Nous voyons
que la loi de la reconnaissance est observée par les bêtes féroces, qui
deviennent quelquefois dociles envers leurs bienfaiteurs.
À combien plus forte raison doit-elle être observée par les
hommes, doués d’intelligence, et comblés de tant de bienfaits par la libéralité
divine!
Mais d’un autre côté notre pauvreté est si grande, que nous ne
pouvons satisfaire pour le moindre des bienfaits reçus de Dieu; parce que le
moindre d’entre eux, nous venant d’une majesté si grande, et étant accompagné
d’une charité infinie acquiert un prix infini, et nous oblige à une
correspondance infinie.
Malheureux que nous sommes! Si nous ne pouvons soutenir le
poids d’un seul bienfait, comment pourrons-nous jamais supporter la masse de
ceux dont Dieu nous a comblés? Nous voilà donc réduits à la dure nécessité de
vivre et de mourir ingrats envers notre souverain Bienfaiteur.
Mais non: rassurons-nous. Le moyen de satisfaire amplement,
parfaitement, à ce nouveau devoir nous est indiqué par le prophète David, qui
avait vu en esprit le divin Sacrifice, et qui savait bien qu’avec lui seul nous
serions au-dessus de la tâche.
Que rendrai-je au Seigneur, s’écrie-t-il, pour tous les biens
qu’il m’a faits? Je prendrai le calice du salut, se répondit-il à lui-même; ou,
d’après une autre version, j’élèverai là-haut le calice du Seigneur,
c’est-à-dire je lui offrirai un Sacrifice très agréable, et je paierai aussi la
dette que je lui dois pour tant de bienfaits signalés.
Ajoutez à cela que ce Sacrifice a été principalement établi par
notre divin Sauveur pour reconnaître et remercier la munificence divine: c’est
pour cela qu’il s’appelle par excellence l’Eucharistie, c’est-à-dire action de
grâces.
Au reste, il nous en a donné lui-même l’exemple, lorsque à la
dernière cène, avant de consacrer le pain et le vin dans cette première Messe,
il leva les yeux au ciel, et rendit grâce à son
Père.
Ô remerciement divin, qui nous découvre la fin sublime d’un si
redoutable mystère, et qui en même temps nous invite à nous conformer à notre
Chef, afin que, à chaque Messe à laquelle nous assisterons, nous sachions nous
prévaloir d’un si grand trésor et l’offrir à notre éternel Bienfaiteur dans le
sentiment d’une immense gratitude; d’autant que le ciel tout entier, la sainte
Vierge, les anges et les saints nous voient avec joie payer à notre grand Roi ce
tribut de reconnaissance.
La vénérable sœur Françoise Farnèse, lisons-nous dans sa vie,
était tourmentée du souci de tout ce qu’elle avait reçu de Dieu et de
l’impuissance où elle se trouvait d’acquitter la dette de son cœur pénétré
d’amour.
Mais voici qu’un beau jour lui apparaît la très sainte Vierge:
elle dépose entre les bras de Françoise le divin Enfant et dit à sa servante:
"Prenez-le, ma fille; il est à vous: sachez seulement vous en servir pour ce qui
fait le sujet de vos inquiétudes: Jésus suffit à tout..."
Eh bien! dans la Messe, nous recevons non seulement entre nos
bras, mais dans notre cœur, le Fils de Dieu: un petit enfant nous a été donné,
dit Isaïe, et nous pouvons avec lui remplir entièrement la dette de
reconnaissance que nous avons contractée envers Dieu.Et même, à bien considérer
les choses, nous donnons en quelque sorte à Dieu dans la Messe plus qu’il ne
nous a donné, sinon en réalité, du moins en apparence; car le Père éternel ne
nous a donné qu’une fois son divin Fils dans l’Incarnation, et nous le lui
rendons un nombre infini de fois dans cet auguste Sacrifice.
Et ainsi jusqu’à un certain point, Dieu serait en retour avec
nous, sinon quant à la qualité de l’offrande, car il ne se peut rien de
supérieur au Fils de Dieu, du moins quant à la multiplicité des actes qui la lui
présentent en satisfaction.
Ô Dieu grand et miséricordieux! Que n’avons-nous un nombre
infini de langues afin de vous rendre des actions de grâces infinies, pour le
trésor précieux que vous nous avez donné dans la sainte Messe!
Comprenez-vous maintenant combien ce trésor est précieux? S’il
a été caché pour vous jusqu’ici, maintenant que vous commencez à le connaître,
comment ne vous écrieriez-vous pas, dans un saint étonnement: Oh! quel grand
trésor! quel grand trésor!
4° DEMANDER LES GRÂCES DONT NOUS AVONS BESOIN.
Mais ce n’est pas tout: nous pouvons encore dans le saint
Sacrifice de la Messe nous acquitter de notre dernière obligation envers Dieu,
c’est-à-dire lui demander les grâces dont nous avons besoin.
Nous connaissons par une triste expérience, les désolantes
misères auxquelles l’homme est soumis, dans le corps aussi bien que dans l’âme,
et par conséquent le besoin que nous avons de l’appui et du paternel secours de
Dieu, à tout moment, en toute circonstance. Lui seul est l’auteur et le principe
de tout bien, temporel ou spirituel.
Mais d’un autre côté, au nom de quoi, avec quelle espérance
solliciteriez-vous de sa miséricorde de nouveaux dons, lorsque telle a été votre
insensibilité, votre ingratitude pour des faveurs qu’il vous a déjà prodiguées,
ingratitude qui est allée à cet excès de tourner le bienfait même contre le
bienfaiteur?
Ici encore, néanmoins, ne perdez pas confiance; reprenez tout
espoir. Vous n’êtes pas dignes de ces biens que vous souhaitez et dont vous
sentez la nécessité; mais le miséricordieux Sauveur accourt se faire votre
intercesseur, se constituer votre caution.
Pour vous il a acquis des mérites infinis, pour vous il devient
à la Messe l’hostie pacifique, c’est-à-dire la Victime auguste à l’immolation de
laquelle notre Père des Cieux ne peut rien refuser. Oui, dans la sainte Messe,
l’adorable, le bien-aimé Jésus, à titre de principal et de souverain prêtre
prend en main notre cause, intercède pour nous, se fait notre puissant avocat.
N’oublions pas que Marie, elle aussi, joint ses supplications aux nôtres pour
tout ce que la foi nous porte à demander à Dieu.
Que faut-il de plus à qui veut être exaucé? La confiance,
l’espoir ferme et assuré vous manqueront-ils quand vous songerez qu’à l’autel
c’est Jésus-Christ qui parle pour vous, qui pour vous offre son Sang très
précieux, qui prend en un mot le rôle de divin intermédiaire?
— Ô Messe bénie, source de tous les bienfaits et de tous les
dons!
Mais il faut creuser bien avant cette mine afin de découvrir
les grands trésors qu’elle renferme. Oh! que de grâces, de dons et de vertus
nous obtient le saint Sacrifice!
Nous y obtenons d’abord toutes les grâces spirituelles, tous
les biens de l’âme, le repentir de nos péchés, le triomphe des tentations qui
nous viennent, soit du dehors, de la part des mauvaises compagnies et des démons
de l’enfer, ou du dedans, de la part de notre chair rebelle.
Nous y obtenons les grâces nécessaires pour nous convertir, ou
pour nous maintenir dans la grâce et avancer dans les voies de Dieu; nous y
obtenons de saintes inspirations et des mouvements intérieurs, qui nous
disposent à secouer notre tiédeur, et nous portent à agir avec plus de ferveur,
avec une volonté plus prompte, une intention plus droite et plus pure, et c’est
là un trésor inestimable, ces moyens étant très efficaces pour obtenir de Dieu
la persévérance finale, d’où dépend notre salut, et cette assurance morale que
l’on peut avoir ici-bas de la béatitude éternelle.
Nous y obtenons encore les biens temporels, autant qu’ils
peuvent concourir à notre salut: la santé, l’abondance, la paix, avec
l’exclusion de tous les maux qui s’opposent au bien de notre âme tels que la
peste, les tremblements de terre, la guerre, la famine, les persécutions, les
procès, les inimitiés, les calomnies, les injures: en un mot, le saint Sacrifice
de la Messe est propre à nous délivrer de tous les fléaux, à nous enrichir de
tous les biens.
Il est la clé d’or du paradis: quels biens pourrait nous
refuser le Père éternel, après nous l’avoir donnée? Celui qui n’a pas épargné
son propre Fils, dit saint Paul aux Romains, mais l’a livré pour nous tous,
comment ne nous aurait-il pas donné tout avec lui?
Il avait donc bien raison, ce saint prêtre dont un auteur nous
rapporte qu’il disait souvent: "Lorsque au saint autel je demande à Dieu, pour
moi ou pour d’autres, quelque faveur insigne, la plus extraordinaire des grâces,
il me semble ne rien demander, en comparaison de ce que j’offre moi-même?"
Et il ajoutait, expliquant sa pensée: "Toutes les grâces que je
puis solliciter à la sainte Messe sont des biens créés et finis, pendant que mon
offrande est sans limite et incréée. Ainsi, en faisant arithmétiquement nos
comptes, c’est moi qui suis le créancier, Dieu reste mon débiteur."
C’est pourquoi il demandait de grandes grâces, et il obtenait
beaucoup de Dieu. Pourquoi n’en faites-vous pas autant? Si vous suivez mon
conseil, vous demanderez à Dieu, toutes les fois que vous assisterez à la Messe,
qu’il fasse de vous un grand saint. Ne craignez pas que ce soit trop demander.
Notre bon Maître ne nous dit-il pas dans l’Évangile que, pour
un verre d’eau donné en son nom, il nous donnera le Paradis?
Comment ne nous donnerait-il pas cent fois davantage, si
c’était possible, lorsque nous lui offrons tout le Sang de son Fils bien-aimé?
Comment pouvez-vous douter qu’il vous donne toutes les vertus
et toutes les perfections nécessaires, pour faire de vous un grand saint?
Dilatez donc votre cœur, et demandez à Dieu de grandes choses;
car Celui que vous invoquez ne s’appauvrit point en donnant, et plus vous
demanderez, plus vous obtiendrez.
Autres bienfaits de la Messe.
Mais ce n’est pas tout encore: outre les biens que nous
demandons à la Messe, Dieu nous en accorde beaucoup d’autres, sans que nous les
lui demandions, pourvu que nous n’y mettions point d’obstacle de notre côté.
On peut donc dire que la Messe est pour le genre humain comme
un soleil qui répand ses splendeurs sur les bons et sur les méchants, et qu’il
n’y a point d’âme, si criminelle qu’elle soit, qui n’en remporte quelque grand
bien, souvent même sans le demander, et encore plus sans y penser, comme il
arriva dans le cas raconté par saint Antonin.
Deux jeunes libertins, dont l’un avait entendu la Messe le
matin, étant sortis un jour, pour aller se promener dans un bois, furent
assaillis par une violente tempête.
Ils entendirent au milieu du tonnerre et des éclairs une voix
qui criait: tue, tue.
Celui qui n’avait point entendu la Messe, fut aussitôt frappé
par la foudre et mourut; l’autre, épouvanté, continua sa course, cherchant un
lieu de refuge, lorsqu’il entendit de nouveau la même voix répéter ces paroles:
tue, tue.
Comme il attendait la mort, il entendit une autre voix crier:
Je ne puis, je ne puis, car il a entendu aujourd’hui le Verbum caro factum
est; la Messe à laquelle il a assisté m’empêche de le frapper.
Combien de fois, par la sainte Messe, Dieu vous a-t-il préservé
de la mort, ou du moins d’imminents périls!
C’est ce que nous assure saint Grégoire, lorsqu’il nous dit au
livre IV de ses Dialogues: "Celui qui entend la sainte Messe est délivré de
beaucoup de maux et de dangers."
Saint Augustin va plus loin encore: "Celui qui entend
dévotement la Messe, nous dit-il, ne périra point de mort subite."
Voilà donc un préservatif admirable pour nous préserver de ce
malheur: c’est d’assister tous les jours à la Messe avec dévotion. Au dire de
saint Grégoire, "le juste qui entend la Messe se maintient dans la justice."
Ce n’est pas assez, il croît toujours davantage en mérites, en
grâces et en vertus, et plaît toujours davantage à Dieu. Bien plus, reprend
saint Bernard: "Celui qui entend ou célèbre dévotement la Messe mérite bien plus
que s’il donnait tous ses biens aux pauvres et parcourait le monde entier en
pèlerinage."
Ces paroles s’entendent de la valeur intrinsèque du saint
Sacrifice.
Quels trésors immenses renferme-t-il donc?
Comprenez bien cette vérité: en considérant le saint Sacrifice
en lui-même et selon sa valeur intrinsèque, on peut dire que l’on mérite plus,
en entendant ou célébrant une seule Messe, que si l’on distribuait tous ses
biens aux pauvres, et si l’on parcourait le monde entier en pèlerinage, visitant
avec une grande dévotion les sanctuaires de Jérusalem, de Rome, de Lorette, de
Compostelle, etc.
Saint Thomas nous en donne la raison: "C’est que, dit-il, la
Messe renferme tous les fruits, toutes les grâces et tous les trésors que le
Fils de Dieu a répandus si abondamment sur son Église, dans le Sacrifice
sanglant de la croix."
Arrêtez-vous ici un instant, fermez le livre, et réunissez par
la pensée tous les biens et tous les fruits que procure la sainte Messe;
considérez-les en silence, et dites-moi ensuite si vous hésitez à croire qu’une
seule Messe, quant à sa valeur intrinsèque, est tellement efficace, qu’au dire
de plusieurs docteurs, elle suffirait pour obtenir le salut de tout le genre
humain.
Supposez que Notre-Seigneur Jésus-Christ n’ait point souffert
sur le Calvaire, et qu’au lieu du Sacrifice sanglant de la croix, il ait
institué seulement celui de l’autel, mais avec l’ordre formel qu’il ne se
célébrât qu’une seule Messe dans le monde entier.
Eh bien! cette supposition une fois admise, il est très vrai
que cette seule Messe célébrée par le dernier prêtre du monde, aurait suffi,
considérée en elle-même et dans sa valeur intrinsèque, pour obtenir de Dieu le
salut de tous les hommes.
Oui, dans cette hypothèse, une seule Messe suffirait pour
obtenir la conversion de tous les Turcs, de tous les hérétiques, de tous les
schismatiques, en un mot, de tous les infidèles et de tous les mauvais
chrétiens, pour fermer les portes de l’enfer à tous les pécheurs, et ouvrir
celles du purgatoire à toutes les âmes qui souffrent.
Mais, hélas! malheureux que nous sommes, nous bornons la sphère
immense de cet auguste Sacrifice, et le rendons inefficace par notre tiédeur.
Ah! je voudrais pouvoir me faire entendre de tous les hommes,
pour leur dire: malheureux, que faites-vous? Que ne courez-vous tous dans les
églises, pour entendre dévotement autant de Messes que vous pouvez?
Pourquoi n’imitez-vous pas les anges, qui, au dire de saint
Jean Chrysostome, descendent en foule du ciel, pendant qu’on célèbre la sainte
Messe et se tiennent auprès de l’autel, dans un saint respect, attendant que la
Messe commence, afin d’intercéder pour nous plus efficacement: car ils savent
bien que c’est là le temps le plus opportun et le moment le plus propice pour
obtenir les grâces du ciel.
Confondez-vous donc, et rougissez d’avoir si peu apprécié
jusqu’ici la sainte Messe, d’avoir même profané tant de fois une action si
sainte.
Vous avez bien plus sujet encore de rougir, si vous êtes du
nombre de ceux qui sont assez téméraires pour dire qu’une Messe de plus ou de
moins, c’est peu de chose.
La Messe et les Âmes du purgatoire
Je vous prie de remarquer que ce n’est pas sans intention que
j’ai dit plus haut qu’une seule Messe, en ne considérant que sa valeur
intrinsèque, suffit pour ouvrir les portes du Purgatoire à toutes les âmes qui y
souffrent et les faire entrer au ciel: car ce divin
Sacrifice sert aux défunts, non seulement comme propitiatoire,
pour payer les peines qu’ils doivent à la justice de Dieu, mais encore comme
impétratoire, pour en obtenir la rémission.
Comme on le voit par la coutume de l’Église, laquelle non
seulement offre la Messe pour les âmes du Purgatoire, mais y prie encore pour
leur délivrance.
Afin d’exciter votre compassion en faveur de ces saintes âmes,
considérez donc que le feu où elles souffrent égale, au dire de saint Grégoire,
celui de l’enfer, et que, comme instrument de la justice divine, il agit avec
une telle puissance, qu’il leur cause des peines insupportables, et supérieures
à tous les tourments qui se peuvent imaginer dans ce monde.
Elles souffrent bien plus encore de la privation de la vue de
Dieu, comme le dit le docteur angélique; l’impossibilité où elles sont de voir
ce souverain Bien, vers lequel elles aspirent, les plonge en des angoisses
intolérables.
Rentrez ici un peu en vous-mêmes. Si vous voyiez votre père ou
votre mère près de se noyer dans un étang, et que pour les délivrer vous
n’eussiez qu’à leur tendre la main, ne seriez-vous pas obligé par charité, et
par justice en même temps, à le faire?
Or, vous voyez des yeux de la foi tant de pauvres âmes, parmi
lesquelles se trouvent peut-être vos plus proches parents, brûler dans un étang
de feu, et vous ne vous astreindriez pas à entendre dévotement pour elles une
seule Messe?
Où est donc votre cœur? Qui peut douter que la Messe procure un
soulagement considérable à ces pauvres âmes?
Écoutez saint Jérôme, un des grands docteurs de l’Église, qui
vous dit expressément que, lorsqu’on célèbre le très saint Sacrifice pour une
âme du Purgatoire, ce feu dévorant suspend ses rigueurs, et que, tout le temps
que dure la Messe, le supplice s’arrête.
Il affirme en outre, qu’à chaque Messe il en est beaucoup qui
sortent du lieu d’expiation pour voler aux joies du Paradis.
Ajoutez à cela que votre charité envers les âmes du Purgatoire
tournera tout entière à votre profit.
Je pourrais vous apporter en preuve une multitude d’exemples
mais je me contenterai de vous raconter un seul fait arrivé à saint Pierre
Damien.
Étant resté orphelin, dans un âge encore tendre, il fut
recueilli par un de ses frères, qui le maltraitait d’une manière incroyable,
jusqu’à le faire marcher pieds nus, et le laisser dans une extrême pénurie de
toutes choses.
Il trouva un jours en chemin je ne sais quelle monnaie; il
croyait avoir en main un trésor. Mais qu’en faire?
La nécessité où il était lui suggérait bien des moyens de
l’employer, cependant, après y avoir bien pensé, il résolut d’aller porter cette
monnaie chez un prêtre, et de lui demander une Messe pour les âmes du
Purgatoire.
À partir de ce moment, sa fortune changea: il fut recueilli par
un autre frère, meilleur que le premier, qui l’aima comme son fils, le vêtit
avec décence, l’envoya à l’école, après quoi il devint ce grand homme et ce
grand saint, qui orna la pourpre et soutint l’Église.
Voyez de quels biens cette Messe et la privation qu’il s’imposa
furent pour lui la source.Oh! quel précieux trésor, qui sert aux morts et aux
vivants, dans le temps et dans l’éternité en même temps.
Ces saintes âmes, en effet, sont si reconnaissantes envers
leurs bienfaiteurs, qu’une fois arrivées au ciel, elles se font leurs avocates,
et ne se donnent de repos qu’après les avoir vus en possession de la gloire:
comme l’éprouva ici-même, à Rome, une femme qui, oubliant son salut éternel, et
esclave de ses passions, n’était occupée qu’à faire tomber dans ses filets la
jeunesse imprudente.
La seule bonne chose qu’elle fît, c’est qu’il ne se passât pas
de jours, où elle ne fît célébrer quelques Messes pour les âmes du Purgatoire.
Celles-ci prièrent sans doute avec tant de zèle pour leur
bienfaitrice, que, rougissant un jour de ses péchés, elle renonça à sa vie
criminelle, alla trouver un prêtre, lui fit une confession générale, et mourut
peu de temps après, bien disposée, laissant à tous les signes évidents de son
salut éternel.
Cette grâce extraordinaire, elle la dut aux Messes qu’elle
avait fait célébrer pour les âmes du Purgatoire.
Réveillons-nous donc, nous aussi, et ne nous laissons pas
précéder dans le royaume de Dieu par les publicains et les femmes perdues.
Nos devoirs envers les défunts.
Si vous étiez du nombre de ces avares, lesquels non seulement
manquent à la charité, en omettant de prier pour les défunts, et d’assister à la
Messe pour ces pauvres âmes affligées, mais qui de plus foulant aux pieds les
droits les plus sacrés, refusent de remplir les legs pieux que leur ont laissés
leurs parents, et de faire dire les Messes qu’ils ont mises à leur charge dans
leur testament:
Oh! alors, je vous dirais, enflammé d’un saint zèle: allez,
allez, vous êtes pires que les démons; car ceux-ci ne tourmentent que les
damnés; mais vous, vous tourmentez les élus; ils sont cruels à l’égard des
réprouvés, mais vous l’êtes à l’égard des prédestinés.
Non, il n’y a pour vous ni confession ni absolution, si vous ne
faites pénitence d’un aussi grand péché, et si vous ne remplissez toutes vos
obligations à l’égard des défunts.
Je ne le puis, me direz-vous, mes moyens ne le permettent pas.
Vos moyens ne vous le permettent pas?
Vous savez bien trouver de l’argent pour paraître dans le
monde, pour satisfaire votre luxe: vous savez bien en trouver pour ces festins,
pour ces dépenses folles et souvent criminelles; et quand il s’agit d’acquitter
vos dettes, non seulement avec les vivants, mais encore avec les pauvres
défunts, vous n’avez plus rien.
Ah! je vous comprends; il n’y a personne pour vous demander
compte de votre conduite, mais Dieu vous le demandera plus tard.
Employez à d’autres usages l’argent que vous ont laissé les
défunts pour des œuvres pies, mais je vous annonce de la part du Roi-Prophète
des disgrâces sans nombre, des maladies, des banqueroutes, des traverses, des
ruines irréparables dans votre fortune, dans votre honneur et dans votre vie.
C’est un oracle divin, il ne peut manquer d’avoir son effet:
Ils ont dissipé les sacrifices des morts, et les calamités se sont multipliées.
Oui, oui, des malheurs, des ruines irréparables à ces familles
qui ne remplissent point les obligations qu’elles ont envers les défunts.
Parcourez cette ville (la ville de Rome), et voyez combien de
familles dispersées, de maisons ruinées, de boutiques fermées, d’affaires
interrompues, de faillites, de disgrâces et de malheurs de toute sorte.
Quelle est la cause de toutes ces calamités? Une des causes
principales, c’est la dureté envers les pauvres défunts, la négligence à remplir
les legs pieux, la cruauté avec laquelle on refuse aux âmes du Purgatoire le
soulagement qu’on leur doit.
C’est pour cela qu’il se commet tant de sacrilèges, et que la
maison de Dieu est devenue, comme le dit Notre-Seigneur Jésus-Christ, une
caverne de voleurs.
Ne vous étonnez pas si Dieu fait pleuvoir ses foudres sur la
terre, et nous menace de guerre, de tremblements de terre, et de calamités de
toute sorte.
La cause, la voici: Ils ont dissipé les sacrifices des morts,
et les calamités se sont multipliées sur leurs têtes.
C’est donc avec raison que le quatrième concile de Carthage
excommunie ces ingrats comme de vrais homicides, et que le concile de Valence
ordonne de les chasser de l’Église comme des infidèles.
Encore n’est-ce pas là le plus grand des châtiments dont Dieu
punit ces âmes insensibles.
C’est dans l’autre vie qu’il réserve ses plus grands supplices;
car saint Jacques nous enseigne qu’un jugement sans miséricorde est réservé à
celui qui n’a point fait miséricorde.
Dieu permettra qu’ils soient traités de la même manière qu’ils
ont employée envers les autres, c’est-à-dire que leurs dernières volontés seront
violées aussi, qu’on ne célébrera point les Messes qu’ils auront ordonnées par
testament pour assurer leur délivrance; que si on les célèbre, le mérite en sera
appliqué à d’autres qui pendant leur vie auront été plus charitables et plus
justes envers les défunts.
On lit dans les Chroniques des Frères Mineurs, qu’un frère
apparut après sa mort à un autre religieux, et lui révéla les supplices affreux
qu’il endurait au Purgatoire, particulièrement pour avoir négligé de prier pour
les autres frères défunts.
Il lui dit que jusqu’ici le bien qu’on avait fait pour lui, les
Messes qu’on avait dites ne lui avaient servi de rien, parce que Dieu, pour
punir sa négligence, les avait appliquées à d’autres qui avaient été pendant
leur vie charitables envers les âmes du
Purgatoire, et cela dit, il disparut.
RÉSOLUTIONS À PRENDRE:
1° Faire dire beaucoup de Messes pour les âmes du Purgatoire
et pour toutes nos intentions.
Je vous supplie donc, cher lecteur, à genoux et de toute mon
âme, de ne pas fermer ce livre avant d’avoir pris la ferme résolution d’assister
autant que vos occupations vous le permettent, au saint Sacrifice de la Messe,
et de faire dire autant de Messes que vous le pourrez, non seulement pour les
âmes des défunts, mais encore pour la vôtre. Et cela pour deux motifs:
2° Pour obtenir une bonne et sainte mort; car c’est
l’opinion de tous les saints Docteurs, qu’il n’y a point de moyen plus efficace
pour cela que le Saint Sacrifice de la Messe.
Notre-Seigneur Jésus-Christ a révélé à sainte Mechtilde, que
celui qui aura eu la pieuse coutume d’assister dévotement à la Messe pendant sa
vie, sera consolé à la mort, par la présence des anges et de ses saints patrons,
qui le défendront contre toutes les embûches des démons.
Oh! quelle belle mort couronnera votre vie, si pendant
celle-ci, vous avez eu soin d’assister à la Messe, toutes les fois que vous
l’aurez pu!
3° L’autre motif, c’est que vous mériterez par là de sortir
promptement du Purgatoire, et de vous envoler au ciel; car il n’y a pas de
moyen plus efficace pour obtenir de Dieu la grâce si précieuse d’aller droit au
ciel sans passer par le Purgatoire, ou du moins de rester peu de temps en ce
lieu, que les indulgences et le saint Sacrifice de la Messe.
Quand aux indulgences, les souverains pontifes en ont été
prodigues envers ceux qui entendent dévotement la sainte Messe.
Nous avons suffisamment démontré plus haut combien elle est
efficace pour hâter la rémission des peines du Purgatoire.
L’exemple et l’autorité de Jean d’Avila devraient nous suffire
pour nous en persuader.
Ce grand serviteur de Dieu, qui fut l’oracle de l’Espagne,
étant sur le point de mourir, on lui demanda quelle sorte de secours il désirait
qu’on ménageât à son âme lorsque le Seigneur l’aurait rappelée à lui: "Des
Messes, des Messes, des Messes."
Permettez-moi de vous donner à ce sujet un conseil d’un grand
poids; c’est de faire dire pendant votre vie toutes les Messes que vous voulez
que l’on dise pour vous après votre mort, et de ne point vous fier a ceux que
vous laissez en ce monde après vous.
D’autant plus que saint Anselme nous apprend qu’une seule Messe
que vous aurez entendue, ou fait dire pour vous, pendant que vous vivez, vous
sera plus profitable que mille après votre mort.
Cette vérité fut bien comprise d’un riche marchand de la
rivière de Gênes, lequel étant sur le point de mourir, ne laissa rien pour le
soulagement de son âme.
Tout le monde était étonné qu’un homme si riche, si pieux, si
généreux envers tous, se fût montré à sa mort si cruel envers lui-même.
Mais lorsqu’il fut enterré, on trouva dans son livre le détail
de tout le bien qu’il avait fait pendant sa vie, pour le soulagement de son âme.
Deux mille francs pour deux mille Messes; dix mille francs pour
doter de pauvres orphelines, deux cents francs pour tel lieu pieux, etc. Et à la
fin du livre il avait écrit: "Que celui qui se veut du bien se le fasse pendant
sa vie, et ne se fie point à ceux qu’il laisse après lui."
On connaît ce proverbe: qu’une chandelle que l’on porte devant
nous éclaire plus qu’une torche derrière.
Tirez profit de cette sentence, et considérant l’excellence et
l’utilité de la sainte Messe, déplorez l’aveuglement où vous avez vécu
jusqu’ici, en n’estimant point assez ce trésor précieux, qui a été pour vous,
hélas! un trésor caché.
Maintenant que vous en connaissez la valeur, ne vous permettez
plus de penser, et moins encore de dire, qu’une Messe de plus au de moins, c’est
peu de chose.
Renouvelez, au contraire, votre sainte résolution d’entendre, à
partir de ce jour, autant de Messes que vous en pourrez trouver l’heureuse
occasion, et de les entendre avec les sentiments d’une vraie piété.
Que la bénédiction de Dieu descende aujourd’hui sur vous. Ainsi
soit-il.
4° Assister souvent à la Messe, et si possible, tous les
jours.
Ceux qui font des difficultés d’assister tous les jours à la
Messe trouvent bien des prétextes pour excuser leur tiédeur.
Lorsqu’il s’agit des misérables intérêts de cette terre, vous
les trouvez pleins de zèle, d’ardeur et d’activité.
Toute fatigue est légère alors; aucune incommodité ne les
retient.
Mais lorsqu’il est question d’assister à la Messe, quoiqu’il
n’y ait aucune affaire plus importante que celle-ci, ils sont froids et sans
volonté, ils savent trouver mille prétextes frivoles pour s’en dispenser; ils
mettent en avant des occupations graves, leur peu de santé, des intérêts de
famille, le manque de temps, la multitude de leurs affaires, etc.
En un mot, si la sainte Église ne les obligeait sous peine de
péché mortel, à entendre la Messe au moins les jours de fêtes, Dieu sait s’ils
visiteraient jamais une église, s’ils ploieraient jamais les genoux devant un
autel.
Quelle honte, et quel malheur en même temps.
Ah! combien nous sommes déchus de la ferveur de ces premiers
fidèles lesquels, comme nous l’avons vu plus haut, assistaient chaque jour au
saint Sacrifice, et se nourrissaient du pain des anges dans la sainte communion.
Et cependant ils avaient aussi leurs affaires; mais c’est
précisément par le moyen de cette pieuse pratique qu’ils savaient si bien
ménager leurs intérêts spirituels et temporels
Monde aveugle, quand ouvriras-tu les yeux pour reconnaître ton
erreur? Réveillons-nous tous de notre torpeur, et que notre dévotion la plus
chère soit d’entendre chaque jour la sainte Messe, et d’y faire la sainte
communion.
Pour obtenir un but aussi saint, je ne connais point de moyen
plus efficace que l’exemple; car c’est une maxime irréfutable que nous vivons
tous d’exemples, et trouvons facile ce que nous voyons faire à ceux qui sont
comme nous.
Saint Augustin lui-même s’encourageait en se disant: "Quoi, tu
ne pourrais pas ce qu’ont pu ceux-ci ou ceux-là?"
Et après avoir pris modèle sur de plus pieux que nous, devenons
nous-mêmes des exemples! Quels fruits ne recueillerons-nous pas du bien que nous
aurons ainsi fait aux autres, même à notre insu.
La Messe et les Honoraires.
Je voudrais conclure par deux remarques très opportunes.
La première, c’est l’ignorance profonde d’un grand nombre de
chrétiens, lesquels n’appréciant point les richesses immenses que renferme le
saint Sacrifice, lui attribueraient volontiers une valeur purement matérielle.
De là viennent ces manières de parler de certaines personnes,
qui, voulant avoir une Messe, ne craignent pas de dire au prêtre à qui elles la
demandent.
"Voulez-vous dire la Messe pour moi, ce matin? Je vais vous la
payer?"
Comment, payer la Messe! Mais quelle somme pourrait égaler la
valeur d’une Messe, puisque celle-ci vaut plus que le ciel tout entier?
Quelle ignorance lamentable!
Cet argent que vous donnez au prêtre, vous le lui donnez pour
le faire vivre, mais non comme paiement de la Messe qu’il dit pour vous.
Je vous ai engagé, dans cette brochure, il est vrai, à assister
tous les jours au saint Sacrifice, et à faire dire autant de Messes que vous
pouvez.
Or, je m’imagine que le démon peut très bien vous suggérer des
réflexions comme celle-ci: "Les prêtres nous exhortent par de bonnes raisons à
faire dire beaucoup de Messes. Mais sous l’apparence d’un beau zèle, ils
cherchent leur intérêt, et tout se fait et tout se dit pour de l’argent.
Quelle erreur! Je remercie Dieu de m’avoir fait embrasser un
institut, où l’on professe la plus stricte pauvreté, où l’on ne reçoit aucune
aumône pour les Messes.
Nous offrît-on cent écus pour en dire une, nous ne pourrions
les accepter.
Je puis donc vous parler hardiment sans craindre ni vos
soupçons, ni vos accusations; car étant désintéressé dans cette question, je ne
puis avoir en vue que votre bien.
Or, ce que je vous ai dit, je vous le répète encore. Entendez
beaucoup de Messes, je vous prie, et faites-en dire le plus que vous pourrez;
vous acquerrez ainsi un grand trésor qui vous profitera en ce monde et dans
l’autre.
La seconde vérité dont vous devez être bien pénétrés, c’est
l’efficacité du saint Sacrifice pour nous obtenir tous les biens, et nous
délivrer de tous les maux, mais particulièrement pour nous ranimer dans nos
défaillances et nous fortifier contre les tentations.
Laissez-moi donc vous répéter: allez à la Messe, allez à la
Messe tous les jours, si cela vous est possible, et compatible avec les devoirs
de votre état, mais assistez-y avec une grande dévotion.
Vous éprouverez en peu de temps, je vous l’assure, un
changement merveilleux en vous-mêmes, et toucherez de la main, pour ainsi dire,
le bien qu’en retirera votre âme.
FIN
Nihil obstat Parisiis, die 18e oct. 1933 A. Gabon
Imprimatur : Lutetiæ Parisiorum,
die 19e octobris 1933 V. Dupin, v. g.
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